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Photo du rédacteurClaudio Da Silva

Qu'est-ce qu'une vie spirituelle ?

Le dictionnaire Larousse définit la spiritualité comme : « ce qui concerne la doctrine ou la vie centrée sur Dieu et les choses spirituelles ». Les concepts de « Dieu » et de « choses spirituelles » sont dès lors à définir, car tout peut être considéré comme « divin » et « les choses spirituelles » peuvent prendre n’importe quelle forme. Quant au terme spirituel, il y est définit comme suit : « qui est de la nature de l’esprit, considéré comme une réalité distincte de la matière : La nature spirituelle de l’âme. » Le mot spirituel traite donc de l’esprit : l’esprit divin, l’esprit humain, l’esprit dans d’autres formes créées ou non créées, l’esprit tout court. Ainsi, afin de pouvoir répondre à cette question, il s’avère nécessaire de savoir au préalable quel est la notion de l’esprit que nous empruntons.

Dans la plupart des écoles de pensée occidentales, la notion d’esprit est considérée communément comme séparée de la matière. Cette dualité, cette dichotomie, ce schisme plus mécanique qu’organique, aide certes à catégoriser et à analyser le monde immatériel ainsi que le monde matériel. Cependant, plus nous avons avancé dans l’évolution des connaissances scientifiques, plus nous sommes arrivés à des conclusions que l’immatériel pourrait être l’essence du matériel et que le matériel pourrait être de l’immatériel condensé, et que l’intérieur et le microcosme n’est pas forcément différent de l’extérieur et du macrocosme. Dans la plupart des écoles de pensée orientales, l’esprit est considéré fréquemment comme lié inextricablement à la matière et que de sentir cette union serait une clé du bonheur. Cependant, existe-t-il vraiment un esprit séparé, individuel, qui danserait cette union avec sa partenaire matière, individuelle elle aussi ? Les notions d’individus, d’« âmes intérieures »[1] ou de « connaissance de l’être intérieur » dont ont parlé, entre autres, Socrate, Hildegarde de Bingen ou encore Augustin d’Hippone, sont-elles réellement possibles, si l’âme et l’être ne connaissent aucune frontière ? Bien sûr, l’écoute de la vie, nos perceptions et notre sensibilité d’humains nous viennent de notre « for intérieur », mais cette intériorité n’est-elle pas reflet de notre extériorité ? Nonobstant ce tandem intérieur-extérieur, n’y aurait-il pas une troisième facette qui serait une pierre angulaire à cette dynamique de dualité et qui nous amènerait à sentir, à expérimenter, que dans la profondeur de la forêt d’arbres individuels, il n’existe qu’une seule souche de racines et de sol pour tous ces arbres apparemment individus différents, cette facette qui pourrait porter le nom de Dieu ? Oui, « nous ne pouvons pas, dans le même temps, inspirer et expirer »[2], mais la personne qui respire, elle, est bien la même personne. Cette personne ou être sous-jacent (holistico-jacent !) pourrait être ce que l’on appelle Dieu. Pourrions-nous considérer, comme dans une sorte de monisme à vision transcendantale, que la matière et l’esprit symbolisent en fait la même chose ? Cela impliquerait qu’il n’y aurait donc plus de séparation entre les choses et les êtres vivants. Pourtant, cette distinction et vision de séparation des choses et des créatures semble exister dans notre perception quotidienne dans tout ce que l’on fait, d’où la multiplicité des voies spirituelles et le caractère polysémique du spirituel, où « expériences psychiques, artistiques, religieuses se confondent »[3], voire même expériences physiques. Par toutes ces branches différentes, nous pouvons arriver au même tronc. Maître Eckhart considérait la vie spirituelle comme dotée du caractère d’ « être auprès des choses et non dans les choses »[4]. Il s’en dégage ici une nette distinction non pas entre esprit et matière, mais entre le vivant et le non vivant. En effet, parfois la matière peut être vivante, et l’esprit peut être mort par sa réification, comme nous le constatons dans bon nombre de domaines de la société contemporaine. Tout devient chose et objets, alors que le spirituel propose exactement l’inverse, tout en incluant les choses et les objets. De ce fait, nous pourrions résumer que la vie spirituelle est ce qui veut se libérer de la réification et s’épanouir intégralement dans le vivant, qui est toujours dans l’ici et le maintenant. Le mot « spirituel » voudrait donc dire, selon ce prisme de lecture, « vivant ». Pourtant, vivre n’est pas survivre. Survivre serait la vie non spirituelle, où l’être humain patauge dans le marasme de devoir maintenir sa vie par la recherche d’assouvissement de ses besoins primordiaux du corps. Vivre serait la vie spirituelle, qui va au-delà des besoins existentiels du corps mais vient nourrir les besoins existentiels du cœur et de l’âme, du lien avec toutes les autres créatures et avec le vivant, mais à travers et par l’incarnation du corps, car c’est par le corps que nous ressentons ce lien.

En fin de compte, la spiritualité est l’expérience d’être et de vivre pleinement dans le corps, dans les émotions, dans les pensées et dans l’esprit, pour être et vivre pleinement la relation avec le vivant et avec l’origine et la destination du vivant, qui est éternel et illimité. Cette relation au vivant engage donc la vie sociale, politique, économique, religieuse et toutes les formes que la vie peut prendre dans ce monde terrestre. En effet, bien que l’expérience spirituelle ou l’« expérience religieuse [soit] au-delà des religions »[5] et de toutes ces facettes du vivant précitées, elle ne les repousse pas, mais les parachève, les accomplit. Elle ne nie pas la réalité terrestre, elle la lie à la réalité céleste. C’est « Dieu dans l’être »[6], dans l’incarnation, avec tout ce que cette incarnation comporte, de faiblesses comme de forces, de chaos comme d’ordre, de souffrance comme de bonheur, de séparation comme d’union. Cette relation au vivant et en le vivant, que l’on peut qualifier d’amour, ne voit plus les amants dualité comme deux êtres séparés, mais ne voit et ne vit que cet amour existant, ce tronc commun, cette source et destination qui est omniprésente. « Autant tu sors de toutes choses, autant, ni plus ni moins, Dieu vient avec tout ce qui est sien »[7], car les choses ne sont pas le vivant, et le vivant est Dieu. Les individus et les egos s’effacent, seule cette relation palpitante, vibrante et vrombissante de vie, existe. « Une vie spirituelle » devient donc un pléonasme. La vie est toujours spirituelle et le spirituel est toujours vivant. Encore faut-il « le posséder »[8], ce spirituel, l’écouter, le voir, le goûter, le toucher et le sentir…

… l’expérimenter…

… l’incarner.




Bibliographie : [1] Pasteur Jean-Phillipe Dutroit Membrini (1721-1793) [2] Kalfried Graf Dürckheim, Le centre de l’être, p. 65 [3] Prof. Mariel Mazzocco, cours de la vidéo leçon 1, Introduction à la spiritualité chrétienne [4] Maître Eckart, Sermons [5] Kalfried Graf Dürckheim, Le centre de l’être, p. 64 [6] Maître Eckhart, Conseils spirituels, p. 79 [7] Ibid., p. 73 [8] Ibid., p. 76


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1 Comment


Sara Visée
Sara Visée
Apr 29, 2023

J'aime beaucoup cet article sur "Qu'est ce qu'une vie spirituelle ?" Ou tu compares la spiritualité au fait d'être vivant. Vivant, comme vibrant, relié à toute chose de la vie, éveillé sur tous les plans, grâce au corps et nourrissant son âme. Merci pour ce beau texte, très inspirant. Sara

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