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  • Photo du rédacteurClaudio Da Silva

Spiritualité chrétienne ou spiritualité laïque ?

Dernière mise à jour : 16 juin 2023




La soif de spiritualité est de nos jours omniprésente et croissante, que ce soit chez les religieux comme chez les laïques. En effet, « l’homme est un animal métaphysique », disait le philosophe Schopenhauer, et André Comte-Sponville, écrivain pourtant athée, de corroborer et d’ajouter que l’homme est un animal « spirituel ».[1] Ainsi, cette spiritualité s’exprime de diverses manières, que l’on départagera ici entre spiritualité religieuse et laïque. Plus spécifiquement encore que religieuse, penchons-nous sur les caractéristiques de la spiritualité chrétienne par rapport à celles de la spiritualité laïque, quand bien même cette dernière existerait ou pas. Quelles en sont leurs singularités, leurs différences et leurs convergences, et est-il possible de proposer une troisième voie, non duelle et sortant de cette dynamique de polarisation entre spiritualité chrétienne et laïque ?



Afin de mener à bien notre analyse, il nous faut d’abord partir des mêmes bases de compréhension et des signifiants « spiritualité chrétienne » et « spiritualité laïque ». La premier terme a donc trait à « ce qui vient de l’esprit » (selon le dictionnaire Larousse) dans la religion chrétienne, à ce qui tient de l’immatériel, du mystique (dans le sens de la partie inexplicable de Dieu), mais aussi ce qui lie intériorité à extériorité lorsque l’on désire être un exemple de chrétienne, lorsque l’on veut représenter Jésus et vivre en Christ et en son Esprit Saint. Dans un autre ordre d’idée, la spiritualité laïque serait une spiritualité identique à cette première définition, mais sans Dieu, sans Jésus ni Christ, cependant aussi dans une volonté de vivre la présence de la vie et de l’esprit (car oui l’esprit y est aussi accepté comme réel et existant) en nous et tout autour de nous. Les pratiques pour y parvenir sont sensées différer, mais souvent elles se recoupent, comme l’art, la retraite en silence, l’écoute de notre voix singulière et la recherche d’une paix intérieure, la guérison de nos blessures psycho-émotionnelles, le soin à notre corps (considéré comme un temple ou pas), la relation juste aux autres, etc.[2]. Ces pratiques s’inscrivent « dans le mouvement général de désinstitutionnalisation du sentiment religieux – et non pas de sortie du religieux – qui traverse notre société »[3]. Cela signifie que le religieux se rapproche de plus en plus de formes plus personnelles et personnalisées de la spiritualité et que la laïcité revêt, de son côté et de plus en plus, une dimension spirituelle. Mais de quelles manières ces deux points de vue se regardent et de quelles autres manières ils détournent le regard l’un de l’autre ?


Les différences de points de vue entre spiritualité chrétienne et laïque démarrent lorsque nous suivons le concept de distinction entre « religieux » et « spirituel », entre une façon de percevoir l’esprit au-dehors de nous avec celle de le sentir en-dedans de nous. Le religieux serait donc plus extérieur et le spirituel plus intérieur. Cependant, cette acception semble très simpliste et a été longuement utilisée comme argument pour sortir du religieux alors qu’en vérité, comme déjà dit ci-avant, la société n’est pas en train de sortir du religieux mais de l’institution religieuse. De plus, la religion (y.c. ici le christianisme), comporte toujours une facette de pratiques intérieures, et le spirituel bien compris amène, lui aussi, toujours une dynamique d’aller dans le monde (l’extérieur) pour y vivre son amour et le grandir encore plus.

Une autre distinction que nous pourrions relever serait celle de la décision personnelle. « Que faire de ma vie quand je suis seul à la décider ? »[4]. La personne chrétienne tend à considérer la décision et le choix comme fonction d’une force divine supérieure et absolue qu’il vaut mieux suivre et par laquelle il est préférable de se laisser porter, et la personne spirituelle laïque croit plutôt à sa totale indépendance de choix individuel. L’une se croit individu et souvent seul (avec l’esprit certes, mais tout de même individu), l’autre se voit simplement comme un membre, une partie d’un corps universel, absolu et transcendantal, et ne se considère dès lors jamais seul (car Dieu et la communauté des chrétiens seraient toujours présents). L’idée de s’élever au-delà des lois qui régissent la nature et le monde est propre au religieux, très prononcée dans le christianisme, en opposition au « naturalisme, l’immanentisme ou le matérialisme »[5] du coté des laïques, qui ne croient qu’aux lois de ce monde. Les premiers se disent des êtres infinis expérimentant le monde fini mais sans en faire partie (« vous n’êtes pas du monde », verset biblique dans Jean 15:19), les autres se disent « des êtres finis ouverts sur l’infini »[6]. Les chrétiens diraient que l’esprit est la cause de tout, les laïques déclarent : « L’esprit n’est pas la cause de la nature. Il est son résultat […]. »[7]

De plus, il existe une différence par rapport à la confession. La personne religieuse déclare faire partie d’une confession (ici le christianisme), et la personne laïque non.

Enfin, soulevons encore une distinction qui n’est que rarement mise en évidence dans les milieux spirituels, celle de l’inégalité des classes socio-économiques et de leur différence d’accès au confort matériel individuel. En effet, la dimension individuelle de la spiritualité laïque n’est possible que sur le terreau d’un système économique et d’une société qui favorisent la capacité à se suffire par soi-même pour survivre. Ainsi, dans les pays soi-disant développés, cette spiritualité peut fleurir et fleurit bien plus que dans les pays pauvres économiquement (ou plus exactement riches en ressources naturelles mais empêchés, par la dette et la banque mondiales, d’accéder à leurs richesses). Là où l’on a besoin de l’autre pour survivre, là où la communauté (et donc souvent les églises) représentent le premier et le dernier rempart à la souffrance matérielle comme psychologique du manque, la spiritualité chrétienne (et religieuse en général) prévaut sur la spiritualité laïque. Ce n’est souvent que lorsque notre ventre est plein que l’on peut se permettre de ne pas avoir besoin de l’autre (l’ecclesia, la communauté spirituelle chrétienne, le sens étymologique de l’église) ni de l’Autre (à savoir Dieu), et que l’on a le privilège de ne vivre que par nos propres choix, enfin que l’on a l’énergie et le temps de se consacrer à des préoccupations métaphysiques et individuelles.


Entrons maintenant dans l’analyse de quelques similitudes entre spiritualité chrétienne et spiritualité laïque. En premier lieu, il est important de préciser qu’il n’existe pas qu’une spiritualité chrétienne, mais des spiritualités chrétiennes, en fonction non seulement de toute la panoplie de dénominations religieuses chrétiennes (protestants, catholiques, orthodoxes, etc.), mais aussi de tous les sous-embranchements existants (luthériens, adventistes, mennonites, bénédictins, franciscains, catholiques romains, coptes éthiopiens, orthodoxes russes, etc.), ainsi que par le fait que chaque individu vit la spiritualité de manière singulière et qu’il existe en fin de compte autant de spiritualités (et on peut le dire aussi des religions) qu’il existe d’humain.e.s sur terre.

Cependant, si l’on tente de généraliser, nous pouvons dire que tou.te.s « les chercheurs[.euses] spirituel[le]s pensent l’équilibre comme le fruit de la non-séparation »[8]. Effectivement, dans les deux cas qui nous concernent, il y a unanimité dans cette volonté de trouver un équilibre, équilibre qui ne peut être atteint que lorsque l’on retrouve un sentiment d’unité, ontologique ou pas, mais d’unité quand même. Cela présuppose donc que l’origine de la souffrance spirituelle et de la soif du spirituel émane de notre condition de séparation. Séparation de quoi ? C’est cela qui va diverger de sens, mais au moins tout le monde est d’accord pour conclure que l’on vit dans la désolation à chaque fois que ce sentiment de séparation survient et revient, par la déconnexion avec la nature et notre environnement, les défis et les obstacles quotidiens, les traumatismes qui nous font dissocier notre identité, les sentiments de culpabilité, de colère, de tristesse et tous les aspects qui nous coupent de la puissance de la vie dans le moment présent.

Si l’on considère la spiritualité laïque non pas comme fille de l’époque d’individualisme qui nous caractérise, mais comme expression d’une qualité spirituelle d’« individuation »[9], de reprise de notre souveraineté intérieure perdue durant des siècles par l’imposition des institutions (non seulement religieuses) sur le libre choix de l’humain.e, nous pouvons alors considérer que ce point de rencontre entre nos deux perspectives est non seulement possible, mais extrêmement salutaire. L’individuation marquerait le glas de l’émancipation individuelle matérielle et de l’émancipation individuelle spirituelle qui se veut fondre son ego complètement et intégralement pour le bien collectif. Ce « relativisme spirituel », cette « recomposition personnelle »[10] de la spiritualité se retrouvent autant chez les chrétiens que chez les laïques, et sa propension à marier l’unité dans la diversité n’est pas à confondre avec le syncrétisme, qui serait plutôt l’action de mélanger les religions et d’en faire un melting-pot personnalisé mais sans puissance, sans enracinement de singularité et d’authenticité. Mais encore faut-il ne pas tomber dans le piège de se croire autonome, indépendant.e, car l’humain.e est un.e être interdépendant.e qui ne peut fonctionner et s’accomplir qu’en étant uni.e au tout de la vie.

Enfin, ceci introduit notre dernier exemple de convergence des deux approches : la connexion à la vie, au vivant ; au « Dieu vivant » pour les chrétiens, au vivant de l’écosystème pour les laïques. Dieu, le Créateur, pourrait être synonyme de vie, et l’écosystème, la Création, pourrait aussi être synonyme de vie. Ainsi donc, la spiritualité chrétienne comme laïque se soucient toutes deux de la vie, et la placent en leur centre le plus profond.



En conclusion, bien qu’il existe des divergences et des convergences entre spiritualité chrétienne et spiritualité laïque, ces deux termes peuvent être considérés indépendamment comme des synonymes voire des pléonasmes. Parler de christianisme sans spiritualité enlève au premier tout son sens et rend le.la chrétien.ne assoiffé.e d’esprit, et parler de spiritualité sans son aspect laïque de détachement vis-à-vis des concepts, nous fait suivre un Dieu dogmatique au lieu du Dieu vivant. Dieu et le vivant ne se suivent pas par le concept seul mais par l’expérience et par le sentiment. Il y a donc une réalité religieuse dans la spiritualité laïque et une réalité laïque dans la spiritualité religieuse. Ainsi, une personne qui se considère laïque peut être parfois plus religieuse qu'une personne religieuse, et un.e religieux.se peut être plus laïque qu'un.e laïque sans même s'en rendre compte. Nous avons beau vouloir nous définir dans notre spiritualité religieuse ou laïque, toutefois seul le Divin et la vie peuvent sonder ce que notre spiritualité est et la juger. Se dire “religieux” ou “laïque” plutôt que de le sentir et de le vivre, cela peut parfois nous détourner de l’essence de la religion ou de la vie. Car Dieu et la vie ne connaissent aucune définition, sont au-delà de la religion ou de la laïcité, et s’il faut véritablement y mettre une définition, ce pourrait être celle de ne pouvoir être défini.e.s. Dieu et la vie sont au-delà des finitudes de la langue et du mot. Ils/Elles sont infinitude, et donc étouffent dans le mot, le transforme ou l'explose pour mieux aimer. Ils/Elles unissent le dit et le non dit, dans le centre où le mot et le silence ont déjà tout dit.


Peut-être qu’un jour nous vivrons dans un monde où le sacré et le profane ne sont plus obligés de se distinguer pour vivre le même amour sacral (convergence du sacré et du profane) de la vie. Peut-être qu’un siècle nous vivrons dans un monde où les mots ne sont plus des murs qui se ferment et enferment mais des fenêtres qui s’ouvrent et libèrent. Car le mot, tout comme l’humain.e, a besoin d’être libéré.e de la stagnation et du sens préconçu, et est toujours « en mouvement, en devenir, [censé venir] de l’esprit, animé par le désir d’aller plus loin que ses limites »[11]. Et, peut-être que, une éternité, nous vivrons dans un infini, tous ensemble, de « sentiment océanique »[12] partagé par tou.te.s, humain.e.s comme animaux, végétaux et minéraux, et de ce sentiment finalement unifié, l’amour de la vie et la vie de l’amour pourront s’épanouir dans toute leur splendeur.



Bibliographie : [1] André Comte-Sponville, L’esprit de l’athéisme, Paris, Le Livre de Poche, 2008, p. 143 [2] Ibid., p.129 [3] Jean-François Barbier-Bouvet, Les nouveaux aventuriers de la spiritualité, Paris, Médiaspaul, 2015, p. 127 [4] Ibid., p. 127 [5] André Comte-Sponville, L’esprit de l’athéisme, Paris, Le Livre de Poche, 2008, p. 146 [6] Ibid., p. 145 [7] Ibid., p. 148 [8] Jean-François Barbier-Bouvet, Les nouveaux aventuriers de la spiritualité, Paris, Médiaspaul, 2015, p. 131 [9] Ibid., p. 201 [10] Mariel Mazzocco, capsule vidéo “Quelle spiritualité pour notre temps ?”, Introduction à la spiritualité chrétienne, Leçon 7 [11] Ibid.

[12] André Comte-Sponville, L’esprit de l’athéisme, Paris, Le Livre de Poche, 2008, p. 159

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